Femmes somalis, par Karen Blixen
« Toutes ces jeunes musulmanes avaient à un haut degré le sentiment de leur valeur. Déchoir en se mariant est une honte à laquelle ni une famille ni une jeune fille musulmanes ne consentiraient. Un homme peut se marier en dehors de son milieu sans rien perdre de sa valeur, c’est ainsi qu’on a vu jadis des Somalis épouser des femmes masaïs.
Mais si une jeune Somalie peut épouser un Arabe, une Arabe ne peut épouser un Somali. Les Arabes constituent le peuple élu. Le Prophète était Arabe. Une jeune Arabe de la famille du Prophète ne peut pas davantage épouser un Arabe d’une autre famille. De par leur sexe, les femmes ont le droit de rechercher un rang social supérieur à celui de leur famille. Sans fausse pudeur elle compare ces principes à ceux que l’on observe pour obtenir des pur sang ; les Somalis ont un grand respect pour les juments.
Après qu’une certaine intimité se fut établie entre nous, les jeunes filles me demandèrent s’il était vrai qu’en Europe certaines familles donnaient leurs filles en mariage buri - pour rien ?
Comme c’était mal ! Comme les familles auraient dû avoir honte, et les jeunes filles aussi qui en étaient victimes ! N’avaient-elles donc aucun respect d’elles-mêmes, ni de la femme ? Si elles avaient eu le malheur de naître dans d’aussi misérables familles, elles auraient préféré ne jamais se marier.
De nos jours, en Europe, les susceptibilités virginales ne sont plus guère de mise et le type idéal de la jeune vierge fait assez démodé. J’avoue pour ma part n’avoir que médiocrement goûté les vieux livres qui le prônent ; mais je comprends maintenant que mes grands-pères et mes arrière-grands-parents aient été séduits et conquis par ce type de jeune fille. Le système somali demande beaucoup d’art et doit être appliqué avec beaucoup de grâce, de piété et de discipline pour concilier la religion, la stratégie et la danse. Sa douceur même est faite de l’opposition des forces en jeu. »
(...)
« Quant aux seigneurs de ces dames, ce sont des hommes naturellement sobres, indifférents au bien-être, comme aux plaisirs de la table et à la boisson. Ils sont durs et économes, comme le pays d’où ils viennent. Les femmes sont leur seul luxe, aussi les convoitent-ils avec une ardeur insatiable ; elles sont pour eux ce que la vie offre de plus précieux. Ils aiment les chevaux, les chameaux, le bétail, mais leurs épouses passent avant tout, et les femmes somalies encouragent cette passion chez l’homme.
Elles ne veulent chez lui ni douceur ni faiblesse et sont à cet égard impitoyables ; quels que soient les sacrifices qui puissent en résulter, elles maintiennent leur prix.
Ces femmes, qui ne peuvent acheter une paire de pantoufles, ou disposer d’elles-mêmes sans l’autorisation de l’homme dont elle dépendent, que ce soit le père, le frère ou le mari, n’en sont pas moins le prix suprême de la vie. On reste confondu devant les prodigieuses quantités d’or, de soir, d’ambre et de corail que les femmes somalies savent arracher aux hommes. Ceci d’ailleurs fait autant honneur aux uns qu’aux autres. »
Karen Blixen, La ferme africaine, 1937 pour la version danoise, 1942 pour l'édition française. Traduit du Danois par Yvonne Manceron
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