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Taraudé

  Je troque un moment mon cyclo-pousse contre le stylo-plume. Dans la banlieue d’Hô Chi Minh Ville, je repense au poirier en fleurs qui, à cette époque de l’année, fait de l’ombre, à Rouen. Et tout d’un coup l’exil me manque affreusement. Le vin, l’hiver, les soirées internationales, au printemps les rhododendrons, et en général, la nouveauté du végétal, les musées, la texture des façades, la joie de n’y rien comprendre, de pouvoir vivre sa vie comme on l’entend. Même à l’exil, on s’habitue, il faut croire. Et ensuite, si l’on s’en retourne, on ne peut plus s’habituer. Doublement puni, cette fois sans solution de repli. Les racines flottantes, amarrées à l’habitude, je rêve d’une petit île loin de tout. Avec les miens à portée de pédale, et certainement quelques autres qui partagent la même aspiration. Au calme, à la luxure, la volupté du travail manuel. Tout en lenteur, sans moteur ni robot. Et aussi sans littérature, pour pouvoir inventer des contes sans point de comparaison. On

Se dire les choses

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C’est tellement dur de se dire les choses, si compliqué de se comprendre, exceptionnel de s’écouter. Mon frère, je veux t’inviter cet été sur les chemins de Compostelle. Je veux t’entretenir de mes désirs textuels, de mes coups de cœur intellectuels, de mes sorties de route, de mes certitudes. Cette demi-heure que l’on se donne, démesurément ridicule, risque de nous léser un peu plus. Sens-tu comme moi le goût de trop peu préempter le moment présent ? Bien entendu, nos chemins ont divergé. N’importe quel sujet renferme une potentielle brisure. Je veux t’étreindre. Nous ressouder. Ressusciter notre entente. Tellement de temps s’est écoulé depuis... De quoi riions nous ? Nous justifions notre gêne réciproque, étirons les souvenirs comme l’on débobine une momie.    Pérore toujours, je me désintéresse. Comme moi, tu soupèses lequel de nous deux est le plus heureux, le plus libre, le moins stressé, le mieux instruit. Les rides de nos fronts se creusent, en même temps que nos tempes griso
Dans la rue, un soir de mars : - Alors la mousmée, elle se défile, non ? - Alors la mousmée non, mais l’animal diurne, ille se méfie des morsures. - Alors l’amour demain soir, as usual ? - Alors l’amour, mon Domi adoré, mon soumis dominé, mon radinou madré, faiseur de loulous, démineur d’anomalies, apprends que n ous ne sommes pas des fleurs, nous sommes un incendie. Alors donc demain soir non. Mardi ou samedi, oui. Au dessert, un con maugrée : - Légalement au resto U, on reste glamour malgré les règlements à la gomme ou le calamar à l’ananas.  Mes neurones se colmatent, ma collègue tout en restaurant son gommage, le met stone : « sale gnome de mes deux, trogne de morue, organe de castor, connard, nous sommes le courage l’une de l’autre  ». -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Ce mois-ci, pour l’agenda ironique de mars hébe

Les dragons du roi

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  Les dragons du roi Ils nous arrosaient d’ypérite, les dragons, en appuyant simplement sur l’aérosol. On avait le tort de protester, d’être protestants, ou protestataires, selon les nuances. Il voulait gommer les aspérités, en ce temps là, le bon Louis. Uniformiser son royaume. Raccourcir les têtes trop pensantes, racornir les esprits un peu ouverts, pesant et soupesant le pour et le contre avant d’obéir à la doctrine. C’était le Vietnam avant l’heure, la colonisation intérieure. Il fallait rallumer la flamme catholique, répétaient en cœur les barons, chacun dans son baragouin. A mesure qu’ils brûlaient nos maisons et nos livres, je sentais la haine grandir en moi. Sans parler des viols (Dieu merci, je n’en ai été ni la victime, ni le témoin direct). Ah les dragons du roi ! M’en parle pas. Si je pouvais effacer cette période de ma mémoire… Mais elle détermine tout le reste. Je me suis soumis comme les autres, tu sais, hypocritement. Et j’ai sauvé ma petite vie. Abjur

#InfraPerec (Recueil de tweets)

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Le vendredi, pendant 54 semaines, du 31 janvier 2020 au 12 février 2021, Emmanuel Vaslin nous proposait sur Twitter d'alimenter le hashtag dédié à l'infra-ordinaire ou infra-quotidien cher à Georges Perec. Poursuivant mon expérimentation d'une écriture sans A, j'ai donc joué le jeu.    Voici mes contributions ici récapitulées, parfois légèrement retouchées à leur relecture. Quelquefois, je me suis autorisé à m'épancher méchamment au-delà des 240 caractères. Attention, j'ai pu parfois m'inventer un personnage ! Que mon illustratrice soit ici remerciée pour avoir transposé certains de mes tweets.       1. LE PLAFOND DE LA CHAMBRE A COUCHER C’est un ciel de poutres et de boiseries d’un turquoise un peu mièvre, qui m’observe du tréfonds de mes rêves. L’ennui c’est que je ne m’en souviens que très peu, et ce psy fidèle reste incorrigiblement muet.   2. MA BOITE AUX LETTRES J'utilise quotidiennement une boîte de réception (et d'envoi) numérique. Cel