Agenda ironique de juillet 2020 : les textes

Ivresse

Charles Bukowski par Zach Mendoza

Après notre bombance, avec satisfaction
Amplement assouvie et mieux que mon envie,
Oui, je me retirai pour passer à l'action
Dans un certain bonheur voire une ardeur ravie.

Soûlé de mercurey j'osai ma rédaction,
Mais parole d'honneur, comme au long de ma vie
En raillant ce qu'on pense avec décontraction,
Après notre bombance amplement assouvie.

Oui je me retirai dans un certain bonheur,
Soûlé de mercurey mais, parole d'honneur,
En raillant ce qu'on pense après notre bombance.

Oui, je me retirai soûlé de mercurey
En raillant ce qu'on pense, oui je me retirai
En raillant ce qu'on pense, en raillant ce qu'on pense.


Gef_  4 juillet 2020


Original : http://www.gef.free.fr/oulipo36.html#date040720

Auto-acrostiche d'hémistiche par vers ? Définition: "la lecture des premiers hémistiches des vers successifs engendre
sept alexandrins, qui se trouvent coïncider avec les sept derniers vers du même sonnet." 16 juin 2020, http://www.gef.free.fr/oulipo36.html


A supposer que


A supposer que l’on me demande ici de te raconter comment nous avons traversé les âges, je peux évoquer le moment où on a vu derrière la dune, le soleil embraser l’horizon et, cet instant où, face au vent, on s’est saoulé de l’air avant de boire le souffle de l’autre puis, allongés sur le sable, il nous a traversé l’idée de se bercer d’étoiles et de caresser le possible comme se traverse la jeunesse, et se réinventer jusqu’à voir les fleuves se nourrir des rivières et entendre les montagnes témoigner de la constance, tandis qu’en apesanteur, nous apprenions à tisser les bords du monde sans faillir face à l’instabilité et puis te dire tout ce temps passé à étudier comment colmater le déséquilibre inhérent à l’équilibre, élargir l’anse de la baie avec l’amplitude du vécu et comme l’amour se réinvente au fil des sillons et des rides ; il se peut même qu’après, je projette, dès le retour de la marée, de t’inviter à dîner dans ce petit resto de bord de mer pour te dire tout ce que c’est de t’aimer aujourd’hui alors que la Terre chancelle du manque d’arbres ; j’imagine déjà te rejoindre, toi attablé avec un verre de vin, dans l’attente paisible de ceux qui savent, et entre tes mains, ce livre que tu aimes relire de temps à autre, Manon Lescaut ; alors qu’en sourdine se joue quelques morceaux de Bill Evans, toi, tu liras quelques lignes à voix haute, pour le plaisir, une phrase au hasard, diras-tu d’un air mutin, comme si nous jouions une partition pour le moins inconnue alors qu’elle relève davantage de la complicité ; tu m’écoutes, insisteras-tu, alors je fermerai les yeux et j’écouterai le son de ta voix et ce sera cela que je retiendrai bien plus que la phrase lue, je penserai même que dans l’idéal, elle s’accolera sans mal avec le reste de ce récit, et si rien n’est moins sûr, on fera comme ci car l’essentiel est qu’elle existe au moment où : « après  avoir soupé avec plus de satisfaction que je n’en avais jamais ressenti, je me retirai pour exécuter notre projet. »


Laurence Délis, 24 juillet 2020

Original : https://palettedexpressions.wordpress.com/2020/07/24/a-supposer-que/

Peinture « Bill Evans » par Zach Mendoza

À supposer… est un texte en prose composé d’une phrase unique très développée, initiée par la formule : « À supposer qu’on me demande ici de… » Voir : https://www.oulipo.net/fr/contraintes/a-supposer


Parloir sourd au format miroir à soi


Il part. L’horizon noir pour salut, sa main sur son front brûlant … pas à pas, il sort … d’ici pour la …

… prison… sa prison… son rasoir… murs du parloir, sourds au format miroir à soi, par la voix sans nuit, sans goût, fait son habit… la claustration sur lui, position du fautif au chagrin garrot, banni parmi tous bannis, un cachot lui sourit …

… aux visions poisons, d’abandon a sa raison … lui pantin corrompu a son ragoût d’alcool du mal construction amplification aux poumons d’un vaudou d’un air au bruit à subir l’attraction du …

La nuit, l’imagination au carcan à vif à vouloir fuir fait noircir son sang … aux matins toujours trop durs … poings au mur … croupir à l’infini dans son hôpital …

Tous, rugissants dans son ciboulot … tous fous …


Max-Louis Marcetteau, 26 juillet 2020

Original : https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/07/26/parloir-sourd-au-format-miroir-a-soi/

Lipogramme en e



Passer au dessert


C’est beau le monde. Ça vaut le coup. On tente de s’y accrocher. Comme un mantra, on se le répète. On s’en persuade assez longtemps, et un beau jour, vous vous levez : tout cela n’a plus aucun sens.


Sans le recours aux journaux, on tente d’analyser. On pense à sa jeunesse, et en omettant les événements, on prend du recul. Comme une claque dans la gueule. Aveuglé, on a pas vu dans sa peau se sculpter les doubles cernes sous nos yeux.


Une ballade en forêt, et un bon repas : c’est le programme de notre journée.


Troublant ; dans la forêt (modeste bande arborée dont la canopée protège cependant des rayons ardents), on rencontre une femme, chlamyde fluo agrafée à l’épaule gauche, et elle nous parle. Non, elle déblatère... Les gendarmes sont toujours plus nombreux dans les rues... les écrans prennent les enfants en charge... la bourse chute... les grosses fortunes s’exacerbent... on n’ose pas y penser... nos corps sont nos seules armes.... se jeter dans la fosse aux loups, le seul moyen, et cetera.


On l’admet : elle n’a pas tout tort. On se consulte et on remarque qu’au plus profond de nous-même, ça ne répond pas. On ne peut pas. On ne peut pas se révolter. Ça répond pas. Au plus profond de nous-même, un ressort est cassé. Comme on ne parle pas beaucoup, à un moment elle s’arrête et s’enfonce dans les fougères. De même, nous reprenons notre ballade. Un peu secoué, on cherche du tabac dans sa poche, et comme on en a pas, on pense à se rentrer.


Sur le retour, un homme pédale, un cube sur le dos attaché.


Tout à coup, le dégoût s’empare de nous. On se sent pourchassé, pourchassé par les métropoles et leur lot de nouveautés. On comprend le dégoût qu’elles ont toujours déclenché chez nous. L’esclave et le bourge y sont trop nettement séparés. D’un côté l’esclave, sur son cyclo, met sa peau en jeu, de l’autre le bourge commande, cul dans le sofa, son lahmacun et son coca. L’un attend des commandes, pédale dans la semoule sans respect aucun du code de la route, même après le crépuscule. L’autre aura passé sa journée à programmer, à manager, peut-être à commander.

Les esclaves modernes auront donc débarqué cet été dans notre bourgade. Après le vacarme des tondeuses, après le déversement du macadam sur les champs de colza, ce nouvel affront achève de dénaturer notre ex-campagne. On ne se sent pas capable de le supporter.


A l’abordage ! Sabotage ! Les mots résonnent dans notre caboche. On retourne dans la forêt à la recherche de la femme au chasuble sur l'épaule. On a trouvé une réponse. On va cramer leur matos, à ces escrocs. On ne peut plus rester les bras ballants et accepter le monde tel quel.


On va s’y attaquer, en commençant par les symboles.


Tout nous semble plus beau que tout à l’heure dans l’arboretum. On écarte les bras pour enlacer les troncs des hêtres majestueux. Nos sens se sont développés. On remarque beaucoup plus de choses : du labeur des collemboles aux craquements des troncs, des mousses vertes pétantes aux ronces généreuses, on s’époumone des fragrances de fragon et de ruscus, on goûte à la texture de l’humus sous nos pas...


Dommage, la femme révoltée n’est plus. Las, en s’efforçant de recomposer ses paroles et l’agencement de sa trogne, on se représente sa grande beauté. On a dû prendre peur à l’écouter car elle nous a échappé sur le moment. C’est toujours comme ça. La morsure des coches ratés ne se referme pas. L’a t-on même regardé ? Non pas, trop occupé qu’on fut à réfuter mentalement ses paroles. On ne regarde pas avec les yeux. On pense avec notre ventre, éternellement noué par la peur, rarement avec notre tête. On arpente malgré tout encore quelque temps les sentes de l’arboretum, et alors qu’on pense à rentrer, on tombe sur un espace, dans lequel tout nous parle. Tout y est. Le chêne mort, la bergère et la corde. On comprend tout de go que c’est le moment. Le moment venu de passer au dessert. Pour fêter ça, on va chercher un casse-croûte et déposer un mot dans sa casemate, léguant tout ce qu’on possède à la grande loge des anachorètes de France, et de retour à notre arbre mort, ayant soupé avec plus d’allégresse que de coutume, la gnôle y étant peut-être pour quelque chose, on se lève pour nous exécuter.


Emmanuel Glais, 26 juillet 2020


Lipogramme en i

Illustration de Zach Mendoza



Agenda ironique de juillet : haïku argentin


Perchés sur l’arbre à Théâtre, ils palabraient. 

De bris de mots en maux tarés, elle se sentait en bords de poème, la rime flottante et la côte mal taillée.  

Pour cause, elle travaillait son haïku argentin. 

Le baron perché prit la suite du logo-rallye. Il tenta une rime bisexuelle qui ne fit réagir personne. 

Il crut voir rouge quand l’un de ses compères vint déclamer sa prose, en chaloupant autour d’un axe de pool danse. Un bris de mots plus tard, il hoquetait sur des locutions introuvables, et alla se réfugier dans le feuillage. Suivit un poème fondu enchaîné et des rubans de couleurs furent déployés dans l’azur du ciel. En bas, tous sautaient de joie. 

Sous le vacarme et la lumière, ils décidèrent alors de faire panache commun…  Le baron dans toute la rousseur de sa crinière, déclama : 

«  Douceur     ET chaleur

Au creux des REINs enfiévrés

Mes bras        TE      serrent.  » (*)

Elle entendit l’étreinte…  

Elle prit le livre près d’elle – Manon Lescaut –  l’ouvrit au hasard et lut la réponse   : 

« Après avoir soupé avec plus de satisfaction que je n’en avais jamais ressenti, je me retirai pour exécuter notre projet. »

©Véronique Bonnet, 30 juillet 2020


Original : https://poesie-de-nature.com/2020/07/30/agenda-ironique-de-juillet-haiku-argentin/

Haïku argentin ? https://www.oulipo.net/fr/node/6912

Commentaires

  1. Les votes sont officiellement ouverts. Je fais au plus simple : que chacun vote en commentaire ! Je vais ceci dit attendre d'éventuels retardataires pour me prononcer, même si j'ai déjà un texte favori...

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  2. Bon... on est que 4 participants !

    Gef, ne parvenant pas à lâcher de com, m'a envoyé un mail.

    "Sans chercher à fayoter, je trouve le texte d'Emmanuel d'une très grande force, et mon humble vote le met donc en haut — à supposer qu'on me demande un tel classement sans employer la voyelle rouge."

    De mon côté je vote pour Gef (j'aime la musicalité du texte, et l'écho subtil du poèmel à l'ironie de notre agenda) et je propose à Max-Louis d'héberger la prochaine mouture.

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  3. C'est vrai, cet agenda a été particulièrement calme, ça arrive !

    Mon vote ira également pour le texte de Gef dont le rythme est aussi troublant que l'ivresse :)
    Et s'il est d'accord, Max-Louis pour héberger l'agenda d'août.

    Merci Emmanuel pour avoir pris en main l'organisation de ce mois. A bientôt.

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  4. Bon jour,
    Je vote pour le texte de Laurence.
    En ce qui concerne l'hébergement de l'Agenda d'Août, y a pas de souci ... je suis partant.
    Max-Louis

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  5. Gef a donc gagné ce mois-ci, et on attend les consignes de Max-Louis pour le mois prochain. Merci à tous !

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  6. Bon jour,
    Voici le lien pour cet Agenda Ironique d'Août 2020 :)
    https://ledessousdesmots.wordpress.com/2020/08/01/agenda-ironique-daout-de-lan-2020/
    Max-Louis

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