Se dire les choses
C’est tellement dur de se dire les choses, si compliqué de se comprendre, exceptionnel de s’écouter. Mon frère, je veux t’inviter cet été sur les chemins de Compostelle. Je veux t’entretenir de mes désirs textuels, de mes coups de cœur intellectuels, de mes sorties de route, de mes certitudes. Cette demi-heure que l’on se donne, démesurément ridicule, risque de nous léser un peu plus. Sens-tu comme moi le goût de trop peu préempter le moment présent ? Bien entendu, nos chemins ont divergé. N’importe quel sujet renferme une potentielle brisure. Je veux t’étreindre. Nous ressouder. Ressusciter notre entente. Tellement de temps s’est écoulé depuis... De quoi riions nous ? Nous justifions notre gêne réciproque, étirons les souvenirs comme l’on débobine une momie.
Pérore toujours, je me désintéresse. Comme moi, tu
soupèses lequel de nous deux est le plus heureux, le plus libre, le
moins stressé, le mieux instruit. Les rides de nos fronts se
creusent, en même temps que nos tempes grisonnent. Je n’ose te
dire que je déteste le rose bobo de ton col roulé. Je regrette que
nous ne puissions plus être les compères que nous fûmes. Les
séquelles du temps sont irréversibles. Lorsque je te quitte, nos
controverses d’hier me reviennent, plus belles que les
demi-mots d’une feinte complicité. Peut-être devrions-nous tenter
de nous écrire, puisque je ne peux plus souffrir de te voir. Excuse-moi. Comment
te dire que ton sourire de grossiste me fout le bourdon, que tes signes
extérieurs de richesse me mettent hors de moi ?
Comment oublier l'impertinent, le justicier ? Où est le jeune homme ?
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Ce texte est un lipogramme en A. Il vaut pour participation à l'Agenda ironique d'avril, suggéré et hébergé par Des Arts et Des Mots :
https://constantinescu685249153.blog/2021/04/04/5544/
Cela dit tout sur le passage du temps, sur les paradoxes qui ont lieu dans toute relation et donc toute communication, et cette certitude que nous restons en tout et pour toujours avec une certaine dose d'étrangèreté.
RépondreSupprimerTrès beau texte...
RépondreSupprimerQui pèse les choses en profondeur...
A l'inverse du mien ... :-)
Merci pour cet texte sincère, qui parlera, j'en suis sûre à beaucoup...